50 nuances de gris ou plutôt 50 nuances de merde : réflexion d’un féministe pro-sexe concernant les pratiques S/M

Portier de Nuit
Portier de Nuit

fifty-shades-of-grey-trilogy2869643387

J’ai été consterné ces derniers mois par l’émoi suscité par la parution du livre «  Fifty Shades of Grey », un « Mom Porn », autrement dit un roman érotique à destination des femmes hétéros. Le battage médiatique dans la presse, à la télévision m’a laissé perplexe. Les mamans bobo le lisaient toutes dans le métro. Revenons à l’histoire de ce roman, en résumé, c’est le récit d’une passion amoureuse entre Christian Grey, un sociopathe et sadique sexuel, homme d’affaires et donc immensément riche  et Anastasia, une jeune étudiante naïve et docile plus jeune que lui. Christian Grey va l’initier au sadomasochisme. L’intrigue est basée sur l’acceptation ou non  de ces  pratiques par Anastasia. Finalement, la jeune étudiante va devenir son esclave sexuelle car un contrat de soumission va être signé entre eux. Il s’ensuivra des scènes de violences décrites par le menu dans ce livre. Christian Grey va couvrir Anastasia de cadeaux, il va l’entretenir et va en en faire une princesse. L’histoire se termine bien car elle accepte la violence et en retour son maître l’a fait entrer dans le monde du luxe.

Ce qu’on ignore c’est le passé d’Anastasia. Qu’est ce qui se cache derrière ce plaisir à se faire frapper et violenter par un homme ? Rien n’est dit sur ce sujet là. Elle ne fait que subir. Moi, aussi, comme Anastasia j’ai eu des pratiques S/M avec des hommes il y a quelques années. Depuis j’ai arrêté grâce à un travail psychologique avec mon thérapeute. Je vais vous raconter ce que j’ai compris :

Du fait de mon histoire de maltraitance dans l’enfance, ma mère me battait régulièrement, j’avais souvent des bleus,  j’ai pensé que mon destin était d’être à la merci des autres, physiquement, mentalement, émotionnellement. Pour survivre, il fallait se taire et endurer la souffrance. Quand ma mère me frappait je savais que si résistais elle serait plus violente encore, donc je me taisais et je la laissais faire. Un enfant face à un adulte est complètement dépendant pour la nourriture et bien d’autres choses. Quand elle s’approchait de moi, machinalement, je me protégeais à l’avance même si elle venait ajuster mon pull, j’avais peur d’elle. Ces évènements sont restés gravés dans ma mémoire traumatique et plus tard j’ai eu une relation avec un homme violent qui avait des tendances sadiques. Un beau jour, il a essayé de m’étrangler sans aucune raison. Je l’ai laissé faire et je suis resté avec lui, j’étais dépendant affectif. Quand je l’ai quitté, j’ai perçu que j’avais des pulsions de mort. A l’époque j’étais encore suicidaire. Pour fuir ces émotions, je me suis accroché au sexe pour m’évader et fuir cette vie horrible. L’addiction sexuelle, les saunas, les rencontres sexuelles d’un soir, quelques passes mêmes.

Un jour, étant  au lit avec un amant, je lui ai demandé de me frapper le visage. Il l’a fait. Après la relation sexuelle, j’ai pleuré. Je me sentais sale et sans dignité. Je ne savais pas pourquoi j’avais demandé ça. Moi qui aime la tendresse en temps normal je me retrouvais à demander aux hommes de me frapper le visage en me donnant des claques. Jamais je n’aurais pensé en arriver là. J’ai eu 4 ou 5 rencontres de ce type avec des hommes, c’était  ponctuel et nos des relations suivies. A chaque fois que je quittais les lieux je pleurais après l’acte non pas à cause de la violence des claques mais à cause de l’avilissement dans lequel je me mettais. Je ne me comprenais pas. J’avais l’impression d’être un zombie, un corps sans âme qui obéissait à des instincts et à des pulsions mortifères.

Je me suis décidé à en parler à mon thérapeute. Par un travail sur mon enfance et sur la relation de maltraitance que ma mère entretenait avec moi j’ai pu mettre des mots sur mon passé d’enfant battu. J’ai réalisé que j’avais associé les coups que ma mère me portait à de l’amour. La seule et l’unique relation qu’elle avait avec moi était une relation de bourreau. Elle me méprisait, m’humiliait constamment parce que j’étais efféminé. Elle me battait pour un oui ou pour un non. Quand elle ne criait pas, j’étais perdu. Ce n’était pas normal. Je n’étais pas aimé. La seule conception de l’amour que j’ai connue était d’être battu et humilié. C’était notre relation mère-fils.  J’ai reproduis cette relation avec les hommes.

Erotiser la violence pour survivre, pour avoir l’illusion de la contrôler, au moins on ne la subit pas, par surprise, on la prévoit, on l’organise pour ne pas être pris au dépourvu. Oui, j’ai eu un plaisir sexuel quand un homme me battait mais un plaisir sexuel infantile qui date de ce  passé traumatique. C’est un scénario de l’enfance qu’on rejoue à l’âge adulte. Ca ne me rendait pas heureux, à chaque rencontre S/M je pleurais après l’acte, je pensais encore plus au suicide. Quand j’avais des relations sexuelles au sauna, je me laissais faire, je faisais le mort, j’avais l’impression de revivre quelque chose, il y avait un court-circuit dans ma tête, une dissociation, je n’étais plus là, je planais, j’échappais à ma vie misérable, l’espace d’un instant.  Ce n’était pas l’adulte qui avait des relations sexuelles, c’était l’enfant qui revivait des traumatismes passés.

Depuis j’ai arrêté d’avoir des rencontres sexuelles à type S/M car j’ai compris mon comportement et j’ai fais la paix avec mon passé. Je reste tout de même vigilant, chez moi les pulsions de mort sont très présentes, le suicide, le masochisme, les conduites à risques, l’anorexie alimentaire. Je me sabote. Je m’empêche de vivre.

Etais-je consentant à ce moment là ? Etais-je en pleine possession de moi même ? Certainement pas, j’étais dépressif et je n’avais aucune estime de moi même. Je crois au consentement éclairé alors que  moi j’étais dans les ténèbres lors de ces séances S/M. Revenons-en aux pratiques BDSM ( Bondage, discipline, Sadisme, Masochisme), je pense que le mouvement féministe doit se pencher sur ces questions aussi. Si nous sommes pour l’égalité politique nous devons être également pour l’égalité sexuelle. Tout ce qui est privé est politique et mérite donc d’ être discuté. C’est en cohérence avec mes prises de position sur la prostitution. Etant de gauche je ne suis pas pour la censure ou l’interdiction, mais pour une critique féministe du sadomasochisme. Je suis pro-sexe mais anti S/M. Pourquoi ?

J’ai eu des pratiques S/M et je comprends pourquoi je suis passé par là. Enfance abusée, maltraitance, il y a reproduction des traumas. C’est mon histoire certes. Généraliser serait abusif mais en y réfléchissant bien, si une amie femme se présente à la fac avec un coquart en me disant que son mec lui a fait ça et que c’est un jeux S/M entre eux, est-ce que je dois l’accepter en tant que féministe et citoyen ? La réponse selon moi est non. Rien ne justifie la violence.

Contrairement à ce que dit le milieu LGBT, le sadomasochisme n’est pas transgressif. C’est la plus vieille institution patriarcale, elle est pluri-millénaire : l’homme doit être agressif et violent tandis que la femme se doit d’adopter une attitude passive et docile surtout lors du rapport sexuel( cf. les représentations dans la  pornographie),les femmes aimeraient la violence en réalité. C’est la doxa sadomaso. Une femme qui dirait NON, c’est une femme qui dirait Oui en réalité car elles aimeraient  ça en fait. C’est l’érotisation du viol, des violences sexuelles pour faire  mieux passer leur désir de domination. La douleur devient plaisir, l’humiliation devient par magie agréable et plaisante et l’esclavage serait synonyme de libération. Quelle escroquerie pseudo-transgressive, c’est comme le Front National, une vaste entreprise de communication et d’arguments fallacieux . L’église catholique a joué  aussi un rôle dans le masochisme des femmes concernant leur corps. La plupart des religions ont un aspect sadomaso, c’est normal car elles participent toutes du patriarcat et de la domination masculine.

J’ai été victime de violence conjugale, je sais ce que c’est que de vivre avec un homme à tendance sadique. Ce n’est en rien jouissif. La peur c’est tout ce que j’éprouvais. Comme Anastasia, dans Fifty shades of Grey, je suis resté avec lui pour son argent et son statut social. Dans ma culture, on vénère l’argent, je n’ai fait que répéter ce qu’on m’appris , le reste était superficiel, si c’était le prix à payer pour être à l’abri du besoin. Je tenais aussi à préciser que dans le livre Anastasia saigne à cause des blessures de son amant elle est frappée de manière extrêmement violente et conserve des traces de coups sur son corps.

Le S/M entretient des stéréotypes racistes. Le contrat que rédige le maître Christian Grey dans le roman avec son esclave sexuelle Anastasia, est une copie qu’on pourrait assimiler au fameux « Code Noir » qui régissait les relations entre maîtres blancs et esclaves africains avec surtout les devoirs des esclaves et tous les droits des maîtres…Toute la vie d’Anastasia est régit par ce contrat ( alimentation, sortie, habits) . Ouh, c’est super transgressif tout ça. C’est pas comme chez les Talibans ça ?

Il y a parfois des références douteuses dans le milieu S/M, notamment  des nostalgies fascisantes. Les uniformes de SS Nazi sont souvent exhibés et pris pour modèles lors de séances S/M. Il n’y a qu’à aller voir le site du mémorial de Tom of  Finland, un dessinateur gay qui fut inspiré par le Nazisme dans sa Suède natale. Dans sa chambre aux Etats-Unis, on voit clairement un uniforme Nazi, il paraît que sa maison est un lieu de pèlerinage pour de nombreux gays (blancs et je pense certainement pas de juifs , enfin j’espère pour eux ). D’ailleurs, en parlant de racisme, il n’y a pas tellement de noirs ou d’arabes dans le milieu S/M gay . Pourquoi ? La capitale du S/M est Berlin, ancien pays Nazi. Sadomasochisme et Nazisme ont souvent été lié dans la littérature, le cinéma, mais aussi dans les uniformes BDSM. (Par exemple dans « Portier de nuit » avec Charlotte Rampling on assiste à une érotisation S/M des rapports entre tortionnaires et victimes ou alors des scandales sexuels avec des orgies Nazi sadomaso avec le président de la fédération internationale automobile : http://www.lefigaro.fr/sport/2008/03/31/02001-20080331ARTFIG00417-l-orgie-naziede-max-mosley-fait-scandale.php)

Bref ce qui plait  tant à beaucoup de  femmes hétéros( pas toutes heureusement), c’est la romance, l’histoire d’amour entre un homme fortuné et une jeune étudiante précaire. C’est le conté de fée de notre époque avec un soupçon de pornochic et de BDSM pour égayer le tout. Si Christian Grey avait été ouvrier le livre aurait fait un flop.

Je pense que nous, les  femmes et les hommes gay passifs ou efféminés, nous sommes élevés de part la culture ambiante pour être soumis aux hommes et  au pouvoir masculin. La culture nous apprend dès le départ à être dans la servitude socialement et soumis dans tous les domaines de nos vies, le travail, la vie affective, le sport… Le sadomasochisme est une conséquence directe de la domination masculine. Le sadisme des hommes découle de la phallocratie.

Erotiser l’esclavage, le racisme et la traite des noirs en fabriquant des colliers d’esclaves à des fins sexuelles est tout bonnement insupportable. ( il y a même eu des bijoux type  esclaves : http://www.huffingtonpost.fr/2013/03/21/mango-esclave-bijoux-vente-france_n_2922126.html)

Erotiser les relations entre maître et esclaves en faisant référence à la Traite est contraire aux valeurs de la gauche, du féminisme et de l’antiracisme. La sadomasochisme est une vieille institution patriarcale, de droite et à bien des égards religieuse aussi. ( les moines anachorètes chrétiens se flagellaient pour atteindre dieu, certains membres de l’Opus Dei une  secte catholique portent une silice avec des piques qui leur  écrase la jambe pour leur rappeler le calvaire du Christ toute la journée )

Bref, ce qui est révolutionnaire et transgressif c’est l’égalité politique et l’égalité sexuelle. La domination de l’homme et la soumission de la femme, caractéristiques de l’hétérosexualité aujourd’hui dans cette société hétéronormée ne sont en rien libérateurs et même si les rôles sont inversés. Erotiser l’inégalité n’est pas une avancée progressiste.

J’aimerais terminer par un conseil aux femmes et aux jeunes gays : Si vous rencontrez un homme qui prend du plaisir à vous voir souffrir, n’espérez pas qu’il change, la seule option est de fuir le plus loin possible. Dans le cas contraire, dans peu de temps vous finirez peut-être dans un abris pour femmes battues avec  des brûlures de cigarettes sur tout le corps ,des hématomes et peut être des enfants traumatisés à charge.

Lien : « Me And My Slaves » : Un film intéressant sur un pratiquant S/M homosexuel et prostitué  qui décide d’arrêter et fait un travail sur son enfance comme je l’ai fait également pour comprendre ses comportements qui ne le rendent pas heureux : http://www.youtube.com/watch?v=rCgxeSDgEN0

Laisser un commentaire